et les Droits de l’Homme:
La révolte silencieuse
Par Bernard Henry
Titre original: «World Citizens and Human Rights: The Silent Rebellion»)
«PROCLAMEZ QUE LA LIBERTE REGNE SUR LE MONDE ENTIER ET QU’ELLE APPARTIENT A TOUS SES HABITANTS». Cette phrase du Lévitique (25:10), composante de la Torah chez les Juifs et du Nouveau Testament – la première moitié de la Bible – chez les Chrétiens, résume plutôt bien, quelle que soit la religion dont l’on est adepte, ce que les Droits de l’Homme sont censés vouloir dire pour quelqu’un qui se considère Citoyen(ne) du Monde.
Jusqu’à récemment, lorsque vous vous proclamiez « citoyen du monde », votre gouvernement national le prenait comme une déclaration de guerre. Même dans une démocratie, affirmer haut et fort que votre appartenance à la race humaine, par-delà les frontières nationales créées par l’homme, a plus de valeur pour vous que votre citoyenneté d’un seul Etat-nation et que, en tant qu’être humain, vous possédez en outre certains droits inaliénables, vous faisait apparaître comme en révolte contre le système en lui-même, là où vous ne faisiez que revendiquer votre humanité et les droits qui vont avec.
Trois tendances majeures de revendications conjointes en matière de Droits de l’Homme et de citoyenneté mondiale peuvent être dégagées dans l’histoire, en tout cas celle antérieure à la première tentative de création d’une organisation politique mondiale – la Société des Nations, créée en 1919 et dont la vie n’a duré en tout et pour tout que les vingt ans qui séparent la fin de la Première Guerre Mondiale du début de la Seconde.
Dans l’Antiquité, vers -1450, les Hébreux ont fui leur condition d’esclaves du Pharaon d’Egypte pour trouver une Terre Promise à laquelle leur Dieu unique, par opposition à la religion polythéiste des Egyptiens, les mènerait par l’entremise de son prophète désigné, Moïse. C’est là ce qui jeta les bases d’une foi juive en le refus du pouvoir terrestre arbitraire et en la conduite fraternelle de l’homme envers son semblable. Après qu’un millénaire se fut écoulé, la Grèce était devenue un phare de la civilisation dans le Bassin méditerranéen, sous le règne de Périclès à Athènes et avec des philosophes de premier ordre comme Protagoras, qui déclara l’homme « mesure de toutes choses », et Socrate, qui affirma qu’il était « un citoyen non d’Athènes, ni de la Grèce, mais du monde entier ».
Pendant et après la Renaissance, un certain nombre d’ecclésiastiques, d’universitaires et de juristes en vinrent à remettre en question la « cité chrétienne » qui avait été le modèle de société de l’Europe à travers le Moyen Age, mettant en avant l’idée que désormais, en lieu et place, le monde avait besoin d’être dirigé par le droit. Parmi eux figuraient Alberico Gentili, professeur de droit à Oxford, ainsi que le théologien Francisco de Vitoria, le juriste Richard Zouche et, au-dessus de tous ceux-ci, le Néerlandais Hugo de Groot, plus connu sous le nom de Grotius. Diplomate et universitaire, Grotius publia en 1625 De la loi de la Guerre et de la Paix, traité qui fait de lui à bien des égards le père du droit international contemporain. La marche vers l’Etat de droit pour remplacer la cité chrétienne atteignit son paroxysme en 1648, lorsque la Paix de Westphalie mit fin à la Guerre de Trente Ans, conflit dont les racines étaient principalement de nature religieuse, ce par une série de traités qui instaurèrent le principe du pacta sunt servanda (en latin, « les traités ont vocation à être respectés »), la souveraineté de toutes les nations et, pour la première fois dans l’histoire, le droit à la liberté de religion. Plus tard dans le courant du dix-septième siècle, Grotius allait inspirer plusieurs plans de « paix universelle », tels que ceux proposés par le prêtre et professeur de mathématiques français Emeric Crucé et le philosophe quaker anglais William Penn, qui fut par ailleurs le fondateur de l’actuel Etat américain de Pennsylvanie.
A la fin du dix-huitième siècle, la Guerre d’Indépendance américaine fut menée, selon les camps, pour défendre ou anéantir une Constitution adoptée démocratiquement et comprenant de manière formelle une Déclaration des Droits, ce qui fut aussi le cas de la Révolution française, inspirée par les écrits des penseurs des Lumières tels Voltaire, Rousseau et bien d’autres en France ou, de l’autre côté du Rhin, l’Allemand Immanuel Kant qui, dans son ouvrage de 1795 intitulé Essai philosophique sur la Paix perpétuelle, appelait à la création d’une « société des nations » pour diriger le monde par le droit, introduisant un concept totalement nouveau à l’époque en philosophie européenne – le weltburger, ou littéralement en allemand, « citoyen du monde ». Le ton était donné pour les aspirations révolutionnaires à venir, et le dix-neuvième siècle s’avérerait justement être, en toute bonne logique, le moment rêvé pour les révolutions, que ce soit en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.
En 1815, toutefois, ce fut le très diplomatique Congrès de Vienne, tenu juste après la fin des guerres napoléoniennes, qui jeta les bases du premier ordre mondial consensuel de toute l’histoire. Exigeant l’abolition définitive de l’esclavage dans chaque pays, Vienne ouvrit la voie à un siècle de changements rapides dans la communication, les transports, le déplacement et la production de biens – mais sans que l’on disposât du cadre politique apte à accompagner de tels changements. En conséquence, l’ordre mondial de Vienne dura un petit siècle puis s’effondra dans la guerre. La Première Guerre Mondiale, terrible et sanglante, qui, pour n’avoir duré que quatre années, détruisit néanmoins ce qu’il pouvait rester à un monde nourri de souvenirs glorieux du passé des certitudes qu’il avait héritées des jours de sa création par les puissances qui avaient vaincu l’Empire français. Comme le Français Paul Valéry l’a dit après la fin de la Première Guerre Mondiale, « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».
Après que Woodrow Wilson, Président des Etats-Unis, eut créé la Société des Nations en 1919, désireux de résoudre les litiges par la négociation et la diplomatie en lieu et place de la guerre, ce fut la montée du fascisme à travers l’Europe, en partie à cause de Wilson lui-même et de son « principe des nationalités » selon lequel chaque ethnie européenne avait droit à un Etat qui lui soit propre ou à être rattachée à sa terre d’origine, principe qui servit surtout les aspirations nationalistes en Italie et en Allemagne. Vingt ans seulement après que le Traité de Versailles avait mis fin à « la guerre qui met fin à toutes les guerres », une fois encore, c’était la guerre. La Seconde Guerre Mondiale, marquée par les atrocités massives commises par l’Allemagne nazie, par son allié japonais impérial dans le Pacifique et par leurs collaborateurs en Europe et en Asie. Au sommet de ces atrocités, l’on trouve bien sûr l’Holocauste juif en Europe, lequel a coûté la vie à plus de six millions d’innocents. Ayant pris conscience que seule une forte alliance de toutes les nations contre le fascisme permettrait à la démocratie de triompher au bout du compte, Franklin D. Roosevelt, Président des Etats-Unis, regroupa celles-ci en un front commun auquel il donna le nom de « Nations Unies ». En juin 1945, la Conférence de San Francisco engendra une nouvelle organisation mondiale destinée à remplacer la Société des Nations, une organisation mondiale qui prendrait tout naturellement le nom que souhaitait pour elle son concepteur, le désormais défunt Roosevelt – l’Organisation des Nations Unies (ONU).
En ratifiant la Charte des Nations Unies, les Etats membres fondateurs s’engageaient à œuvrer « en développant et en encourageant le respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion », là où la Société des Nations, obsédée par la seule résolution des conflits, avait pratiquement laissé les Droits de l’Homme à la porte en rédigeant son Pacte. Cette fois, en revanche, il était clair que, sans une reconnaissance politique formelle non seulement des Etats mais aussi des individus, aucune paix durable n’était envisageable, d’autant que le Président des Etats-Unis, Harry Truman, était déterminé à montrer à son homologue soviétique, Joseph Staline, que jamais il ne renoncerait à son profit au leadership mondial qui était le sien, et que, dès lors, une Troisième Guerre Mondiale, plus encore, une guerre nucléaire, pouvait éclater à tout moment.
C’est à cette époque que Robert Soulage, dit Sarrazac, créa le Front humain des Citoyens du Monde en France, bien que ce soit un autre homme qui, en 1948, allait attirer l’attention du monde en brandissant l’idée de Citoyenneté Mondiale – Garry Davis, ancien pilote de bombardier dans l’U. S. Air Force, lequel s’était rendu à Paris pour renoncer à sa nationalité américaine et devenir un « Citoyen du Monde », ayant demandé sans succès « l’asile politique mondial » à l’ONU, dont le Palais de Chaillot abritait alors l’Assemblée générale, mais ayant réussi à placer la Citoyenneté Mondiale sur l’échiquier politique de l’après-guerre, ne serait-ce que pour un court instant.
Durant cette session de l’Assemblée générale, l’individu obtint bel et bien sa reconnaissance politique, comme Davis et d’autres l’avaient voulu. Le 10 décembre, l’Assemblée générale adopta la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, texte fondateur de l’ensemble du droit international des Droits de l’Homme d’aujourd’hui. Dès cet instant, Davis allait baser tout son discours et toute son action politique sur ce texte consacré par l’ONU – tout en rejetant paradoxalement l’ONU dans son entier, la considérant « fictive » et du fait illégitime. Globalement, une rhétorique ambiguë et une tendance à vouloir par trop personnifier l’ensemble de son combat, au lieu d’en faire un mouvement de masse comme le souhaitaient pour leur part les disciples de Sarrazac au Registre international des Citoyens du Monde, ont par la suite enfermé Davis dans un rôle au mieux symbolique dans la politique mondiale.
En ce qui concerne le Registre international des Citoyens du Monde, créé par Davis et Sarrazac en 1949, bien qu’il ait survécu au départ de Davis sous la direction rassurante d’un couple de membres de la première heure, Guy et Renée Marchand, son audience demeura confidentielle. Souhaitant avant tout et surtout promouvoir la création d’institutions mondiales basées sur les citoyens, lesquelles auraient pour finalité de remplacer l’ONU, mais paraissant incapable de s’adapter au changement politique mondial de l’après-guerre froide, le Registre des Citoyens du Monde, comme il fut rebaptisé en 2000, arbora après la disparition des époux Marchand, respectivement en 1993 et 2002, un nouveau visage qui le rapprochait du catholicisme social. Son discours se reporta sur le tiers-mondisme classique et son fonctionnement interne se fit plus conservateur, grossièrement calqué sur celui des administrations françaises. Dans la rhétorique moderne du Registre, les Droits de l’Homme ont autant – ou aussi peu, c’est selon – d’importance qu’un quelconque autre sujet, qu’il s’agisse de l’environnement, de la pauvreté, des armes nucléaires ou autre. Le résultat en est que rien de réellement positif n’est fait pour les Droits de l’Homme au sein de la vieille école relookée.
Une seule organisation dont le nom comprend l’expression « Citoyens du Monde » peut revendiquer une véritable pertinence en matière de Droits de l’Homme tels qu’ils sont consacrés par les nombreux instruments internationaux adoptés dans la foulée de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Créée en 1975, l’Association of World Citizens (Association des Citoyens du Monde; AWC), basée à San Francisco, est « engagée corps et âme » en faveur de l’Organisation mondiale, selon les mots mêmes de son Président, Douglas Mattern. Se voulant clairement une organisation non-gouvernementale (ONG), et non un gouvernement mondial ou une autorité mondiale alternative, l’AWC jouit du Statut Consultatif auprès de l’ONU; de ce fait, elle est représentée depuis le départ à l’Office des Nations Unies à Genève, lequel abrite, entre autres, la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, aujourd’hui devenue le Conseil des Droits de l’Homme. Dirigée par le Professeur René Wadlow, anciennement de l’Institut du Développement de l’Université de Genève, la délégation de l’AWC au Palais des Nations a souvent joué un rôle crucial dans la résolution de litiges liés aux Droits de l’Homme au sein de l’institution mondiale.
En 1983, alors que la rhétorique enflammée du temps de la Guerre Froide était à son apogée, les « ultras » étant au pouvoir aux Etats-Unis comme en Union soviétique, la diplomatie informelle telle que pratiquée par les ONG apparaissait plus utopique et irréaliste que jamais. Sur le front diplomatique officiel, c’était l’année où la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU avait créé un Groupe de Travail spécial sur les Populations indigènes au sein de la Sous-Commission sur la Prévention de la Discrimination et la Protection des Minorités. A cette époque, une « population indigène », ce n’était guère plus aux yeux des diplomates qui avaient créé le Groupe de Travail que les Indiens des Amériques du Nord et du Sud qui étaient présents avant l’arrivée des Européens, ou encore les Aborigènes d’Australie et de Nouvelle-Zélande.
L’équipe de l’AWC avait alors entrepris un important travail en vue de la protection des tribus des collines du Chittagong Hill Tracts au Bangladesh, dont certaines avaient fui vers le nord-est de l’Inde pour échapper aux violences locales. Lorsque le Professeur Wadlow a soulevé la question pour la première fois au sein du Groupe de Travail, les représentants du Bangladesh comme de l’Inde y ont émis une objection, arguant que les tribus des collines n’étaient pas réellement « indigènes », position qui avait également reçu le soutien des représentants de la Thaïlande. En fait, toutes les tribus des collines proviennent au départ du Tibet et du sud de la Chine, s’étant disséminées à travers les trois Etats d’Indochine – Thaïlande, Birmanie et Bangladesh – et dans le nord de l’Inde tout au long du dernier millénaire. Ainsi s’accorde-t-on à dire que les tribus des collines ne sont effectivement pas « indigènes » au sens où elles sont arrivées par vagues successives de migration.
Toutefois, comme le fit remarquer en 1984 l’équipe de l’AWC, le seul instrument de l’ONU relatif à la condition des peuples indigènes était la Convention N° 107 de l’Organisation internationale du Travail, laquelle avait été signée tant par le Bangladesh que par l’Inde, et dans cette Convention, il est bel et bien question de « peuple indigène et tribal ». Si les tribus du Chittagong Hill Tracts ne sont pas indigènes, toutes les tribus des collines ont en revanche conservé une structure de type tribal, une forme d’utilisation collective de la terre et une pratique courante de l’agriculture sur brûlis. En conséquence, les diplomates indiens et bangladais durent bien accepter d’inclure les tribus des collines dans les discussions du Groupe de Travail. Par après, le Groupe de Travail devint un outil essentiel au traitement de la question du Chittagong Hill Tracts, ses travaux ayant abouti plus tard à un cessez-le-feu et au retour des réfugiés d’Inde et du Bangladesh. Ce n’était pas là une mince réussite pour une ONG prise sous les feux croisés diplomatiques de la Guerre Froide, comme le fut l’ONU elle-même pendant quarante-cinq ans. Et encore, il ne s’agit là que d’un seul exemple.
Même si les Droits de l’Homme ont toujours été une préoccupation de premier plan pour l’équipe de l’AWC à Genève, l’effort s’est encore accru en septembre 2005, lorsqu’un Bureau de Presse a été créé au sein du Bureau de Genève, dirigé par un Officier de Presse nouvellement nommé et dont il se trouve que, contrairement à ce que son titre laisse entendre, il était actif en tant que Défenseur des Droits de l’Homme de niveau international depuis onze ans. Il s’agissait de moi.
Depuis 2005, nous avons approché les gouvernements de quelques 150 Etats Membres de l’ONU, soulevant nos préoccupations quant à des violations des Droits de l’Homme ou appelant ces gouvernements à coopérer avec nous sur des questions urgentes revêtant une importance d’envergure mondiale :
– Des classiques des Droits de l’Homme : Liberté d’opinion et d’expression ; liberté de conscience et de religion ; liberté de réunion et d’association non-violentes ; discriminations ethnique, religieuse et autres ; torture et mauvais traitements ; peine de mort.
– L’héritage de la fin de la Guerre Froide : Crimes de guerre et crimes contre l’humanité ; réfugiés et législation portant droit d’asile ; enfants-soldats ; défense des Défenseurs des Droits de l’Homme ; ratification universelle du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale.
– Mise en lumière du côté sombre de la mondialisation : Non-respect du droit à l’éducation, à un emploi décent (par opposition notamment à l’esclavage moderne), à l’alimentation, à la santé et à un logement décent ; et les droits des femmes, préoccupation de premier plan pour qui se soucie du « monde entier » et de « tous ses habitants » d’aujourd’hui.
Comme nous l’avons démontré, les Droits de l’Homme sont toujours mieux défendus lorsqu’ils font partie d’un projet de révolte, ce bien que les soulèvements armés du passé aient fait place avec les années au militantisme non-violent des ONG, non dans une moindre mesure grâce au travail de grandes organisations telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des Droits de l’Homme, pour ne citer qu’elles. Penser que les Etats-nations s’accorderont sur, et par conséquent obéiront, à des normes de Droits de l’Homme par le seul biais de la diplomatie classique consiste au mieux à prendre ses désirs pour des réalités, et il est douteux qu’il en soit jamais autrement sur ce point.
Se tenant au carrefour de la défense des Droits de l’Homme au sens traditionnel, de la diplomatie informelle et du militantisme politique des Citoyens du Monde, le Bureau de Représentation de l’AWC auprès de l’Office des Nations Unies à Genève se trouve à tout instant en position de franc-tireur de la révolte. « La lutte pour les Droits de l’Homme est un combat politique », déclare le Professeur Wadlow. C’en est bien un, et la politique en question est bel et bien celle de la révolte, comme cela a été le cas de tous temps. Autrement, pourquoi le Préambule de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme lui-même stipulerait-il qu’ « [Il] est essentiel que les Droits de l'Homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression » ?
En tout état de cause, la révolte est en marche, en suprême recours contre la tyrannie et l’oppression, une révolte qui porte le nom de défense des Droits de l’Homme. Dans notre cas, au Bureau de Représentation de l’AWC auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, il s’agit d’une révolte silencieuse, utilisant les voies de la diplomatie et la langue de la politique pour promouvoir une seule cause – celle de l’humanité, la plus grande qui soit, là où nos interlocuteurs ne défendent en tout et pour tout qu’un seul pays à la fois. L’un des épisodes les plus célèbres des événements de 1948 qui ont donné naissance au mouvement Citoyen du Monde est l’interruption par Garry Davis, Robert Sarrazac et d’autres avec eux de l’Assemblée générale de l’ONU, afin d’y prononcer une courte allocution appelant à un gouvernement mondial – la « Déclaration d’Oran », ainsi nommée en l’honneur de son auteur, Albert Camus, le célèbre écrivain français natif de ce qui était alors l’Algérie française. Quelques instants avant que Davis ne commence à parler, une voix dans le public cria : « Et maintenant, la parole est au peuple du monde ! ». A travers l’AWC, le peuple du monde a la parole à l’ONU depuis trente-cinq ans, et la céder aux Etats-nations est une chose que nous ne sommes pas près de faire.
Bernard Henry est Officier de Presse du Bureau de Représentation auprès de l’ONU à Genève et Directeur Général de la Division espérantiste de l’Association of World Citizens.